Appel à communication

Ars in Helvetia. La Suisse au carrefour des modernités artistiques (années 1870-1940)

Appel à communication / Call for Papers :

Ars in Helvetia. La Suisse au carrefour des modernités artistiques (années 1870-1940)

Journées d'étude du 21 - 22 mars 2024
Salle Vasari, Galerie Colbert

Date limite : 10 septembre 2023

 

Organisateur et organisatrice : Sébastien Mantegari Bertorelli (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne) et Sara Petrucci (Université de Neuchâtel)

Les propositions de communications en français ou en anglais d’un maximum de 3000 signes et accompagnées d’un titre et d’une courte présentation biographique sont attendues pour le 1er septembre 2023 aux adresses suivantes : sebastien.mantegari.bertorelli@gmail.com et sara.petrucci@unine.ch.

Ces journées d’études sont organisées avec le soutien de l’HiCSA et de l’ED441 (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne) et l’Institut d’histoire de l’art et de muséologie de l’université de Neuchâtel.

Mots clefs :
Art en Suisse – art suisse - art européen – avant-gardes historiques – modernité – géographie artistique – transferts culturels – primitivismes – art et spiritualité – institutions artistiques


Ces dernières décennies, de nombreuses recherches, publications et expositions ont traité la question de l’art suisse depuis la création de l’État fédéral en 1848 jusqu’à la veille de la Première Guerre mondiale. Ainsi en 1982, en parallèle des travaux de Hans Lüthy et de Hans-Jörg Heusser (Lüthy, Heusser, 1983), paraissait le premier volume du projet éditorial Ars Helvetica. Arts et culture visuelle en Suisse, auquel, par son titre, ces journées d’études veulent rendre hommage. En 2006, Oskar Bätschmann et Marcel Baumgartner offraient quant à eux une synthèse historiographique sur la question débattue de l’art suisse ou en Suisse (Bätschmann, Baumgartner, 2006). Après avoir achevé les catalogues raisonnés des œuvres d’Aloïse Corbaz (2012), des peintures de Cuno Amiet (2014) et de Ferdinand Hodler (2018), l’Institut suisse pour l’étude de l’art (ISEA) s’est attelé à la réalisation de celui concernant le travail d’Augusto Giacometti et des illustrations de Félix Vallotton.
Mais la réception de l’art suisse a été marquée également par d’importantes expositions. En France, notamment, le musée d’Orsay organisait, en 2001-2002,  une rétrospective consacrée à Arnold Böcklin, suivant celle sur Ferdinand Hodler en 2010, tandis qu’en 2013, c’est Félix Vallotton qui était mis à l’honneur au Grand Palais. Plus récemment, en 2021, s’est tenue au musée d’Orsay, l’exposition Modernités suisses (1890-1914) (Muller, Patry, 2021) qui poursuivait chronologiquement celle organisée au musée Rath de Genève en 1998 par Florian Rodari, La Peinture suisse : entre réalisme et idéal (1848-1906) (Rodari, 1998).

Il résulte que toutes ces initiatives visaient à réfléchir à des questionnements communs, autour de la mise en place d’un art national (Gnägi et al., 2013 ; Thévoz, 2018), ou proposaient des études, monographiques ou non, d’artistes suisses ou bien d’artistes ayant séjourné sur le territoire suisse (Stutzer et al., 2007). Elles interrogeaient enfin aussi la manière dont les productions visuelles suisses se rattachent à des mouvements artistiques internationaux (Anker, 2013 ; Grämiger et al., 2019).
Mais de quelles manières les différents artistes actif-ve-s en Suisse participent, volontairement ou non, à la constitution d’une scène artistique extrêmement riche bien qu’en apparence – mais en apparence seulement – située en périphérie des grands centres de l’art international ? Et, ce faisant, comment étudier une histoire de l’art par ses supposés « bords », ici helvétiques, revient à élaborer et nuancer un discours sur la modernité nécessairement pluriel et complexe, et qui porte en faux tout discours téléologique ?

Avec quels outils méthodologiques penser la modernité artistique en Suisse, une modernité « dans le modèle du régime plutôt que dans celui de la périodisation » (Heinich, 2017) ? Comment les artistes-mêmes réfléchissent-ils/elles à la modernité dans leurs discours et la représentent-elle dans leurs productions visuelles ? Aussi, si des historiens de l’art établis en Suisse ont marqué l’histoire de la discipline (Heinrich Wölfflin et Wilhelm Worringer, par exemple), ces derniers n’ont eu que peu d’égard pour l’art qui leur était contemporain. Mais leurs concepts ont-ils servi à l’élaboration d’une pensée sur la modernité ? En somme, comment se construit ou se déconstruit le paradigme moderne de l’art en Suisse, qui et quels en sont les acteur-trice-s et agent-e-s?

Ces journées d’études souhaiteraient donc aborder non pas uniquement la question d’un art suisse entre la seconde moitié du XIXe siècle et la première moitié du XXe siècle, mais bien la création visuelle en Suisse ; un ars in Helvetia autant qu’Helvetica. Ce faisant, il s’agit d’analyser par exemple comment la Suisse constitue à la fois un territoire et un terreau propice aux syncrétismes artistiques et aux imaginaires « primitivistes » en raison de son caractère insulaire mais perméable au cœur de l’Europe. Sa politique et sa géographie – entre centre et périphérie – jouent un rôle prépondérant dans la constitution d’imaginaires artistiques revendiquant une certaine marginalité (politique, culturelle). Elle concentre, rapproche et mêle les artistes locaux et immigrés, l’art, l’artisanat et l’industrie. Loin des métropoles artistiques européennes établies que peuvent être Paris, Berlin et Munich, des villes comme Zurich, Genève, Berne, Lausanne, la Chaux-de-Fonds et Bâle, des régions comme le Tessin, les Grisons ou encore le Valais sont le théâtre d’une effervescence artistique et de dynamiques idiosyncrasiques. Avec tout ceci, comment la Suisse peut-elle apparaître comme un carrefour des (plutôt que de la) modernités ?

À cet égard, les années 1870 semblent charnières : elles voient en effet l’inauguration de la Kunsthalle de Bâle en 1872, la nomination de Jacob Burckhardt à la première chaire d’histoire de l’art ouverte à l’université de Bâle en 1874, la publication de la somme de Rudolf Rahn, Histoire des arts plastiques de la Suisse, des plus anciens temps à la fin du Moyen Âge en 1876 et la création des premières écoles d’art appliqués (Genève en 1876) et du Schweizerischer Werkbund (1913). Les deux décennies 1930-1940 sont quant à elles celles où s’ouvre en 1936 la grande exposition Zeitprobleme in der Schweizer Malerei und Plastik au Kunsthaus de Zurich qui légitime l’art constructif, tandis que paraît la même année Histoire de l’art suisse de Joseph Gantner. En 1939, la galerie Fischer de Lucerne orchestre avec le régime nazi la vente d’œuvres spoliées d’art « dégénéré » qui marque durablement l’histoire des collections d’art moderne alors que, la même année, l’exposition nationale suisse de Zurich, la Landi, matérialise l’idée de « défense spirituelle » du pays.
Durant ces huit décennies le pays est traversé par autant de courants artistiques, de départs et de retours d’artistes suisses en formation à l’étranger (Arnold Böcklin, Carlos Schwabe, Sophie Taeuber-Arp, Meret Oppenheim, Alice Bailly, Eva Aeppli par exemple), d’installations temporaires ou non d’artistes étrangers sur le territoire (Marianne Werefkin, Ernst Ludwig Kirchner, Oskar Kokoschka, Germaine Richier) et d’ouvertures d’institutions artistiques d’envergure nationale et internationale. La Suisse devient ainsi un creuset dans lequel se rencontrent artistes, écoles et courants, actrices et acteurs du monde de l’art qui constituent ce que l’on considère aujourd’hui comme la « modernité » en art (Rieber, Tonchon-Danguy, 2022). Mais de quelle modernité parle-t-on précisément ? Est-elle uniformément comprise, suivie et appliquée ? Quelles sont précisément les résistances et les réactions qu’elle provoque ? Pourquoi et comment la Suisse, considérée comme périphérique par rapports aux développements de l’art dans les capitales artistiques établies, est-elle durant cette période le lieu de la constitution d’une histoire de l’art plus complexe et nuancée, plurielle et non linéaire, en somme : alternative ?
En mettant la focale sur la Suisse, ces journées visent ainsi à proposer une réflexion autour de cette notion de modernité, en échappant au récit téléologique dont celle-ci peut faire l’objet (Clair, 1996).


Afin de contribuer aux réflexions autour de ces questions, les propositions de communications pourront s’insérer, par exemple et sans exclusive, dans l’un des axes suivants. Seront particulièrement bienvenues les communications sur les carrières féminines/d’artistes femmes :

Axe 1 : La Suisse comme territoire de transferts culturels 

Du retour d’Arnold Böcklin en Suisse en 1885 à l’installation de Ernst Ludwig Kirchner à Davos à partir de 1918, en passant par l’établissement de Giovanni Segantini dans les Grisons à partir de 1886 et celui de Hugo Ball et Emmy Hennings à Zurich en 1915, la Suisse devient, à la charnière des XIXe et XXe siècles, la terre d’accueil, d’exil et/ou de retour de nombreux artistes. Comment ce jeune État, au centre de l’Europe mais en apparence à la marge des grands mouvements artistiques, voit néanmoins se rencontrer, naître et se métamorphoser des collectifs, des carrières et des pratiques ? À travers, par exemple, les outils proposés par la géographie artistique (Gamboni, 1987) et les transferts culturels (Espagne, 2009, Joyeux-Prunel, 2003), les réflexions engagées au sein de cet axe pourront viser à analyser comment les artistes en Suisse opèrent des mises en réseau, des échanges et des adaptations tant d’iconographies, de concepts et de techniques dans leur pratique artistique. Les propositions pourront par exemple se focaliser sur des parcours individuels ou collectifs, des localités particulières de la Suisse ou des transferts techniques ou iconographiques.

Axe 2 : Les institutions et l’art en Suisse : entre contribution et réception

La période considérée voit l’émergence non seulement d’institutions de premier plan (Kunsthalle de Bâle en 1872, Kunsthaus de Zurich en 1910) mais également d’expositions nationales (Zurich en 1883 et 1939, Genève en 1896 et Berne en 1914) et internationales (exposition sur les divisionnistes italiens en 1909 ; rétrospectives sur Rodin en 1918, Redon en 1919 et Cézanne en 1921 à la Kunsthalle de Bâle ; exposition sur l’art français des XIXe et XXe siècles en 1917 et rétrospective Picasso en 1932 au Kunsthaus de Zurich ; exposition internationale d’art moderne au palais électoral de Genève en 1920-1921 ; Grand Bal Dada à la salle communale de Plainpalais à Genève en 1920) qui vont durablement marquer le paysage artistique du pays, sans oublier les nombreuses commandes publiques qui viennent consacrer la carrière d’un ou d’une artiste ou, au contraire, le vouer aux gémonies les plus virulentes. La constitution de canons officiels et de carrières artistiques prestigieuses et soutenues par la commande publique incite par là même, en réaction, à la création d’évènements ou de manifestations dissidentes ou alternatives. Comment donc les différentes actrices et les différents acteurs de ces institutions artistiques et publiques élaborent-elles-ils, consciemment ou non, un discours officiel sur l’art, et sur l’art moderne en particulier ? Quelles sont les spécificités du cas suisse ? Comment sont pris en compte les apports des artistes étrangers par les institutions culturelles, la critique, le marché et les artistes suisses eux-mêmes ?

Axe 3 : La Suisse, terre de primitivismes paradoxaux ?

La référence aux primitivismes est l’un des principaux thèmes autour desquels se pensent les modernités artistiques durant la période abordée dans ces journées. Loin de se cantonner à l’intérêt porté par les artistes vers des productions non-occidentales, la notion de primitivismes inclut également les œuvres des « fous », des enfants, l’art de la Préhistoire, et plus généralement celles de tout individu en apparence dénué de culture classique en matière d’art occidental (Dagen, 2019). Or, le territoire suisse et ses paysages, souvent décrits ou imaginés par la vie simple et « originelle » des populations qui les habitent, supposément isolées d’une civilisation industrielle considérée comme dangereuse ou décadente, ont pu apparaître, à cet égard, comme un versant de ces primitivismes. On songe ici aux colonies d’artistes comme celle de Savièse et du Monte Verità ou encore à la retraite de Giovanni Segantini à Maloja qui sont autant de tentatives de se rapprocher d’une nature en apparence non touchée par la civilisation moderne. D’un autre côté, la constitution de collections, publiques ou privées, d’artefacts et de productions non-occidentales ainsi que la découverte des iconographies et des techniques étrangères qu’elles engagent viennent répondre aux recherches plastiques menées de façon contemporaine par les artistes qui les visitent (Rossinelli, 2022). Comment donc les artistes cherchent-ils, dans les paysages comme dans les collections, une ou des formes de primitivismes en Suisse ? Pourquoi et comment la Suisse et se prête-t-elle particulièrement à la recherche de primitivismes ?

Axe 4 : Modernités et spiritualités : une Suisse visionnaire ?

Au-delà de l’abstraction, les recherches menées dans la continuité de l’exposition The Spiritual in Art. Abstract Painting de 1986 mettent toujours davantage en lumière les relations entre l’art moderne et la spiritualité (Tuchman, 1986). En Suisse, la philosophie de la Lebensreform, qui prône un retour à un mode de vie simple et proche de la nature, adopte des nuances fortement spirituelles et spiritualisantes. Elle trouve un terreau propice d’expression au sein par exemple de la colonie d’artistes du Monte Verità, à Ascona, qui accueille de nombreux intellectuels et artistes suisses (Sophie Taeuber-Arp) comme internationaux (Mary Wigman, Rudolf von Laban, Nell Walden). C’est également sur les bords du Lac Majeur, que s’organisent annuellement, surtout à partir de 1933, les réunions d’Eranos, au cours desquelles intellectuels, scientifiques et artistes dialoguent et échangent sur des sujets philosophiques, sur la pensée orientale et la spiritualité, autour de l’artiste et iconographe Olga Fröbe-Kapteyn et de Carl Gustav Jung (Bernardini, 2011). C’est enfin à Dornach, près de Bâle, que Rudolf Steiner établit en 1913 le siège de la société anthroposophique qui accueille au fil des ans de nombreux artistes internationaux, à l’instar de la Suédoise Hilma af Klint, dont la pratique artistique est nourrie de ses expériences visionnaires et spirites (Althaus, 2019, Almqvist, Birnbaum, 2022). Des autodidactes développent également des recherches artistiques singulières à l’instar d’Emma Kunz (Bonnefoit, Petrucci, 2020). Quelles formes prend donc la spiritualité dans les productions visuelles en Suisse durant cette période ? Peut-on parler d’une « Suisse visionnaire », pour reprendre la formule de Harald Szeemann (Szeemann, 1991) ? Et quelles en seraient les spécificités ?

Ces quatre axes sont donnés à titre indicatif et ne sont pas restrictifs.