Appel à communication

Colloque international "Aveugler, pour voir : Flashs et révélations"

Colloque international "Aveugler, pour voir : Flashs et révélations"

Paris, 17-18 octobre 2024

Ce colloque donnera lieu à la publication d’un numéro de la revue Photographica en 2025.

 

Modalités de soumission et calendrier

L’appel est ouvert jusqu’au 5 mai 2024. Les propositions devront inclure votre nom et votre affiliation, un résumé de 300 à 400 mots, ainsi qu’un court CV. Elles sont à envoyer à l’adresse suivante: flashconf2024@gmail.com. Les candidatures seront anonymisées et expertisées.

William Crookes, l’un des éditeurs du Photographic News au milieu du XIXe siècle, fut l’un des premiers auteurs à mentionner la possibilité d’utiliser le magnésium pour produire un éclat artificiel de lumière susceptible d’éclairer violemment une scène à photographier en octobre 1859. Quelques années après les inventions de la photographie commerciale, le flash devint rapidement l’une des manifestations techniques les plus spectaculaires du nouveau médium. Avec les capteurs les plus récents (notamment de type SPAD), il devient aujourd’hui possible de réaliser des images avec un minimum de 0.001 lux sans apport de lumière artificielle. À l’instar de la pellicule, le flash pourrait bien devenir à terme un souvenir un peu suranné dans un nouvel écosystème technologique qui redéfinit numériquement le visible et l’enregistrable. Il est à ce titre particulièrement opportun de réouvrir ce dossier afin de mener une archéologie du flash capable d’échapper aux récits technicistes. Aborder son histoire pourrait se limiter à un récit un peu étroit d’innovations technologiques successives débouchant finalement sur la victoire ultime de la photographie sur l’obscurité. Ce colloque vise précisément à éviter de telles lectures linéaires afin de prendre le flash, entendu ici comme une  brusque émission de lumière artificielle provoquée par différents moyens techniques (du magnésium au stroboscope électrique en passant par les flash bulbs) et par opposition à l’utilisation de la lumière artificielle en continu, non seulement comme une technique mais aussi comme un point d’articulation possible entre différentes écritures de l’histoire de la photographie.

L’exemple bien connu de Jacob Riis illustre bien à quel point l’artifice ne peut être en l’espèce séparé d’une riche histoire visuelle, culturelle et sociale. Les utilisations du flash, au fil de son histoire, participèrent à redéfinir les visualités contemporaines en accélérant l’expansion du monde photographiable. Des mondes souterrains aux vies nocturnes des animaux et des hommes, de la nuit polaire photographiée par Herbert Ponting au sordides crépuscules New Yorkais capturés par Weegee, des ectoplasmes figés dans leur apparition aux balles de pistolet saisies dans leur vol par Harold Edgerton, l’éclat de la lumière artificielle a souvent rendu visible l’inimaginable.  Peut-être plus que tout autre dispositif socio-technique, le flash a ainsi contribué à conférer à la photographie sa perspective distincte sur le monde, cet « inconscient optique » (W. Benjamin) lié à sa capacité à faire apparaître ce qui échappe à la vue humaine.Depuis ses premiers développements dans les années 1860, le flash, s’inscrit dans une histoire longue de l’expansion du monde photographiable.

Loin d’une histoire techniciste, ce colloque veut promouvoir une histoire technique dépoussiérée, envisagée dans ses imaginaires et usages sociaux. Il s’agit d’engager une conversation autour du flash qui permette d’en retracer toutes les dimensions qu’elles soient esthétiques, culturelles, médiatiques. Le flash possède par exemple une dimension performative qui mérite attention car elle participe à modeler l’événement photographique lui-même. Les utilisations du flash au magnésium par Jean-Martin Charcot et Albert Londe en offrent une illustration, le bruit et la fumée provoqués par la combustion du magnésium jouant en l’espèce un rôle direct dans la capture photographique des pathologies qu’ils espéraient comprendre. La stupeur et l’aveuglement provoqués par les premières technologies de photographie au flash comme le caractère invasif de la lumière artificielle qui marque certaines pratiques du photojournalisme sont certaines de ces manifestations de l’impact du flash sur les matérialisations de la photographie au moment de la prise de vue. La matérialité et le danger-même posé par le flash au magnésium, à la fois pour les photographes parfois brûlés par le magnésium incandescent et  intoxiqués par les fumées et pour les sujets photographiés parfois paradoxalement aveuglés voire effrayés par l’éclat de la lumière artificielle, peuvent constituer des pistes de travail intéressantes. C’est aussi le flash comme trope ou analogie qui peut se révéler un sujet riche. Lieu commun cinématographique, objet photographié, le flash apparaît aussi comme une métaphore de certains processus mémoriels, comme l’illustre notamment l’utilisation du mot (aufblitzt) par Walter Benjamin dans Sur le concept d'histoire. Le flash, en mots et en lumière, entretient en un lien particulier à la fois avec les mémoires individuelles ou collectives bloquées et les espaces refoulés de l’histoire de la photographie, comme l’illustre en particulier le cas des instantanés de scène de lynchage dans les Etats-Unis du début du 20ème siècle. Ce sont aussi de multiples récits sur la lutte entre la lumière photographique et l’obscurité (sociale, guerrière, criminelle) qui se nourrissent du motif du flash comme instrument de révélation.

La poétique et l’esthétique du flash - ou son refus définitif qu’illustre la position d’un Cartier Bresson totalement réfractaire au flash bulb - constitue un autre axe d’exploration de l’histoire de la photographie. L’explosion presqu’incontrôlable de lumière artificielle rapproche le médium d’une image purement mécanique (au moment précis où brûlait le magnésium personne n’y voyait rien). Cet aveuglement comme les effets formels du flash - débouchage contre la lumière naturelle, premiers plans blanchis par l’artifice contre un arrière plan obscur pour la photographie de nuit, effet de surprise des flashés, capacité à saisir des objets en mouvement rapide - ne sont pas que des éléments formels. Appropriés par les praticiens de genres parfois très populaires tels que les photographies volées de célébrités ou la photographie animalière, l’effet d’instantanéité induit par le flash irrigue tout un pan de la production de photographie au 20ème siècle.

Refusé au nom d’une approche puriste, le recours au flash dessine des frontières techniques et symboliques entre art et non art, bien au-delà de la valorisation d’une image floue dans la photographie pictorialiste de la fin du 19ème siècle. Dans la seconde moitié du 20ème siècle, il a pu être employé, par exemple, par Chauncey Hare pour distinguer la photographie comme travail politique de révélation, de la photographie comme production de belle image. Le flash peut apparaître comme un format, avec lequel des photographes ont d’ailleurs pu jouer, dans des images que les marques du flash désignent ostensiblement comme images ordinaires. Le recours au flash se fait ainsi manifeste dans un travail d’artiste « faux snapshot », comme dans la série American Surfaces de Stephen Shore (1972), mais aussi, jusqu’à aujourd’hui dans toute photographie (y compris commerciale) qui joue avec l’image déqualifiée – que cette image soit domestique ou produite au bout de la nuit. Le flash devient une esthétique associée à des pratiques et régimes visuels fortement signifiés.

Suranné, le flash se transformerait presque en grain photographique. Dans une ère où la sensibilité des capteurs remplace la puissance du flash, ce dernier serait, plutôt qu’en voie de disparition, en passe de devenir une forme de teinte sépia à l’échelle des vies contemporaines - objet d’archéologie encore bien familier, pris dans une littératie photographique encore solide, mais pour combien de temps. Sa place dans les visualités contemporaines ainsi que leurs théorisations semble en effet toujours plus marginale. Les appareils photographiques les plus courants, soit les téléphones, ont désormais plutôt pour manifestation lumineuse ordinaire la lampe (flashlight) dont ils sont équipés, et le flash du contrôle routier automatisé apparaît comme une exception par rapport à des dispositifs de surveillance discrets et délocalisés. Comme le disait le titre d’un film récent d’Éléonore Weber sur les formes visuelles modernes de la guerre, « il n’y aura plus de nuit ». C’est donc précisément à l’aune des régimes visuels les plus contemporains qu’il importe de penser ce dont le flash fut et reste la matérialisation, entre lumière presque insaisissable et sujet capturé.   
1. Éléonore Weber, Il n’y aura plus de nuit, Perspective Film, 2020.