
L’héritage de Frank Lloyd Wright en France : transmissions, appropriations, hybridations
Appel à communication / Colloque
Laboratoire HiCSA / Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Laboratoire AHTTEP / École Nationale Supérieure d’Architecture de Paris-La Villette
Calendrier
Date limite du retour des propositions : 30 septembre 2025
Paris / Galerie Colbert-INHA et ENSA de Paris-La Villette
17 et 18 mars 2026
Calendrier
- Lancement de l’appel à communication : juin 2025
- Retour des propositions : 30 septembre 2025
- Acceptation des propositions : 28 octobre 2025
- Colloque : 17 et 18 mars 2026
- Remise des textes pour publication : septembre 2026
Comité d’organisation
Sophie Descat (ENSA Paris-La Villette), Eléonore Marantz (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne), Catherine Maumi (ENSA Paris-La Villette).
Comité scientifique
Barry Bergdoll (Université de Columbia), Pippo Ciorra (MAXXI, Rome), Sophie Descat (ENSA Paris-La Villette), Antoine Fily (Université La Sapienza, Rome/LRA, ENSA Toulouse), François Giustiniani (Archives départementales Hautes-Pyrénées), Isabelle Gournay (Université de Maryland), Gilles-Antoine Langlois (ENSA Paris-Val de Seine), Caroline Maniaque (ENSA Normandie), Eléonore Marantz (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne), Gilles Marseille (Université de Lorraine), Claude Massu (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne), Catherine Maumi (ENSA Paris-La Villette), Mélina Ramondenc (ENSA Grenoble).
Argumentaire
Ce colloque a pour ambition d’approfondir la connaissance d’une part encore méconnue de la production architecturale française du second XXe siècle, période d’abondance constructive mais dont certains aspects restent à explorer et questionner, notamment en ce qui concerne des démarches et des propositions échappant aux tendances dominantes.
Le thème de l’héritage wrightien, de sa transmission et des réappropriations dont il a fait l’objet en France au XXe siècle, émane de plusieurs constats : depuis une quinzaine d’années une série d’études pionnières a vu le jour sur des architectes qui ont revendiqué, de diverses manières, leur attachement à l’œuvre de l’américain Frank Lloyd Wright, dont, parallèlement, la production est soumise à un nécessaire renouvellement critique et historiographique[1]. Monographies publiées, mémoires de master et thèses de doctorat soutenus, classement de fonds d’archives de différentes agences d’architectes, protections patrimoniales : de nombreuses initiatives ont fait sortir de l’ombre des figures françaises de « l’autre modernité[2] », ou, comme elles ont été parfois présentées dans la presse spécialisée de manière assez révélatrice, de la « France inconnue[3] ».
Néanmoins, il n’y a pas encore eu de tentative, dans le cadre d’une réflexion partagée, de dépassement du postulat de trajectoires singulières, souvent très ancrées dans des contextes régionaux spécifiques, entre autres en Île-de-France, en Bretagne, dans le Sud-Ouest, ou en Provence[4]. L’un des objectifs de ce colloque est donc d’essayer de faire émerger une histoire plus collective, de créer du lien entre le particulier et le général, de soulever des questions plus transversales, de tenter de réinterroger une production qui, sous certains aspects, interagit fortement avec notre propre contemporanéité, y compris dans ses paradoxes les plus éclatants[5].
En janvier 2017, lors d’une conférence au musée d’Orsay, Jean-Louis Cohen avait partiellement ébauché les contours du sujet à une échelle géographique élargie, en évoquant les parcours multiples initiés par la réception de l’œuvre de Wright en Europe, considérant que cette dernière avait nourri les prises de position de personnalités souhaitant concevoir et construire différemment, de l’Italie à l’Union soviétique. Jean-Louis Cohen mentionnait, sans l’approfondir, le cas spécifique d’un « wrightisme tardif français dont il faudrait faire l’histoire[6] ». Ce colloque entend y contribuer. Peut-on esquisser une chronologie de la réception de Wright en France, en identifier les acteurs et les modalités ? Peut-on tracer des points communs dans la manière dont les architectes français ont fait fructifier cet héritage ? Peut-on mieux comprendre leur propre production architecturale, dont la pérennité est aujourd’hui parfois menacée, en y portant une attention plus collective ?
À cette fin, différents prismes épistémologiques peuvent être investis avec profit : celui, difficile à contourner pour ce sujet, des transferts culturels[7], mais aussi ceux de la formation des architectes, de leur culture matérielle, de l’histoire des perceptions ou de la construction, voire les questions plus récentes posées par l’histoire environnementale, qui peut amener à considérer les artefacts eux-mêmes comme des acteurs[8]... cette liste n’est pas exhaustive. Diverses investigations méthodologiques peuvent également être valorisées, incluant par exemple les témoignages émanant d’élèves, de collaborateurs, de commanditaires, ou d’usagers, qui permet de requestionner textes, archives et édifices.
Les différentes interprétations du terme « organique », utilisé par Wright lui-même pour définir sa démarche conceptuelle[9], ont parfois brouillé les pistes quant à l’analyse de sa propre production, mais aussi de celles des architectes qui s’y réfèrent. Pour autant, comprise dans sa traduction littérale de « biologique » en français, la notion invite à réfléchir à certaines caractéristiques revendiquées par les architectes « wrightiens » : l’inscription « naturelle » dans un contexte ; l’architecture considérée comme un processus (organique) comparable à la croissance d’une plante qui pousse et se déploie vers la lumière ; une spatialité fluide, pensée du dedans vers le dehors ; une « simplicité plastique » indissociable de la matérialité et des spécificités structurelles des matériaux ; une continuité de la conception du détail constructif aux éléments de mobilier ; la pensée d’une architecture ayant pour objectif de tenir compte, sans normalisation a priori, de tous les événements de la vie, à l’échelle de l’individu et du groupe humain.
Dans ce sens, une hypothèse peut être formulée : ce qui se joue dans la production des architectes « wrightiens » ne vient-il pas éclairer un moment de l’histoire architecturale où savoirs et savoir-faire du maître d’œuvre sont particulièrement imbriqués ? Cela sans hiérarchie entre l’attention donnée d’un côté aux processus et de l’autre aux objets, mais en les considérant au contraire comme un tout qui interagirait et devrait être porteur de cohérence ?
Axes de réflexion
Les axes de réflexion formulés ci-après pourront guider les propositions de communication, sans avoir toutefois un caractère restrictif, les interventions au colloque pouvant ouvrir à des choix plus transversaux ou complémentaires.
En quête d’un héritage : figures de passeurs, modes de transmission et d’appropriation
Le premier axe propose de s’intéresser aux figures de passeurs et aux modes de transmission et d’appropriation de l’œuvre de Wright.
La réception de l’œuvre de Wright en France, amorcée dès les années 1910, a connu un premier épisode faste au cours de l’Entre-deux-guerres, puis un autre au sortir de la Seconde Guerre mondiale : articles consacrés à Wright dans la presse spécialisée et dans les grands quotidiens nationaux, traduction en français de ses livres (à partir de 1955), accueil à l’École des Beaux-Arts, au printemps 1952, de la grande exposition rétrospective européenne, « Sixty Years of Living Architecture », coordonnée par l’architecte lui-même[10]. En 1977 l’École spéciale d’architecture renouvelle l’expérience en présentant une nouvelle exposition itinérante, qui voyage de Naples à Vienne en passant par Paris et Helsinki[11]. En corrélation, les voyages d’apprentissage aux États-Unis des élèves-architectes ou des jeunes diplômés français sont nombreux, variés, menés à la fois comme des enquêtes et des aventures[12], pour rencontrer le maître et ses « disciples » (par exemple Bruce Goff, Herbert Greene, Georges Lautner) et observer de visu une architecture ne pouvant être réduite à ses seules images.
Que recherchent les architectes français qui partent à la découverte de l’architecture de Wright malgré le décalage temporel, géographique et culturel ? Quelles raisons poussent certains étudiants en architecture à s’y intéresser alors qu’ils se forment dans les ateliers des Beaux-Arts auprès de Louis Arretche, Jean Faugeron, Georges-Henri Pingusson et même de Noël Lemaresquier, ou, un peu plus tard, dans l’atelier « Sens et espace » d’Hervé Baley à l’École spéciale d’architecture[13] ? Quels sont les enjeux de cette quête à la fois intellectuelle et formelle soutenue par une actualité éditoriale et critique donnant de plus en plus de place à Frank Lloyd Wright dans l’historiographie française ? Quelles sont les spécificités de ces transferts et de ces appropriations, sachant que Wright lui-même avait puisé dans un Ailleurs – l’architecture japonaise, savante comme vernaculaire[14], qui avait bouleversé sa façon de voir. Sous certains aspects, cela a-t-il facilité la transmission et les réappropriations de son œuvre, pourtant particulièrement ancrée dans la culture étasunienne et un mode de vie qui lui était spécifique ?
L’architecture organique « revisitée »
Le second axe entend interroger la démarche conceptuelle des architectes français se revendiquant de Frank Lloyd Wright, dans leur pratique ou dans leur positionnement plus théorique, afin d’analyser les modalités d’appropriation et de dépassement de l’héritage wrightien.
Finalement peu doctrinaires malgré une forte aptitude à la réflexion théorique et critique, les tenants français de l’architecture « organique » ont souvent avancé un goût pour la maîtrise de la géométrie, entendue comme un moyen d’alimenter un processus créatif ouvert à des spatialités intégrant des séquences et des seuils, des fluidités et des perspectives inattendues, des assemblages volumétriques en apparence contradictoires. Souvent justifiées par la quête d’une expérience sensible et d’un lien fructueux entre l’architecture et son milieu, leurs recherches ont favorisé la genèse de formes architecturales inédites, parfois expressionnistes jusqu’à la bizarrerie. Quels liens établir entre leurs réalisations et celles de Frank Lloyd Wright ? Que retiennent-ils de la géométrie et de l’espace wrightiens ? Quels enjeux et formes de réappropriation guident leur démarche ?
Parallèlement à la mise en récit de la démarche architecturale que Wright a volontiers pratiquée[15], il convoquait la conception dans son aspect intuitif, poétique au sens premier du terme. Cette dimension semble être également au cœur des préoccupations des architectes français se revendiquant de Wright. Comment ces derniers envisagent-ils et racontent-ils les sensations du corps qui occupe un espace ? Dans quels programmes y sont-ils le plus attentifs ? Comment expérimentent-ils et justifient-ils cette démarche conceptuelle sensible, attentive à l’être humain et à son milieu ?
La construction comme expérimentation
Un troisième axe tend à interroger la notion d’expérimentation dans le passage du dessiné au construit, en examinant à la fois la matérialité de l’architecture et les dynamiques de mise en œuvre du projet.
On souhaite examiner ici l’économie des projets « non-standards » des architectes organiques français, qui semblent résister de manière singulière à la longue histoire du dictat de l’innovation qui est encore la nôtre aujourd’hui[16]. Sans fermer la porte aux matériaux typiques de la modernité, comme le béton et le verre, ils les ont métissés avec d’autres, principalement la pierre et le bois, dans une approche souvent revendiquée comme artisanale.
À l’instar de ce qui a pu être écrit ou théorisé sur la pratique du chantier de Frank Lloyd Wright, où les artisans prenaient eux-mêmes la parole pour exprimer ce qu’ils apprenaient de l’architecte[17], que sait-on des processus de mise en œuvre de l’architecture produite par les « organiques » français ? Quelles relations entretiennent-ils avec la maîtrise d’ouvrage, mais aussi avec ceux qui fabriquent et construisent ? De quelle manière investissent-ils le chantier ?
Dans le prolongement des réflexions précédentes, cet axe invite à analyser la portée des démarches pionnières et expérimentales des architectes français se revendiquant de Wright, et le statut qui leur est souvent attribué aujourd’hui de précurseurs de l’architecture écologique.
Modalités d’envoi des propositions de communication
Les propositions de communication, en français ou en anglais, de 3 000 signes maximum, incluront un titre et une courte biographie de l’intervenant.e. Elles doivent préciser l’état de la question sur le sujet, la méthode d’investigation, les sources et données utilisées. Le fichier soumis doit être nommé ainsi : NOM_Prénom_wright2026.
Les propositions, en français ou en anglais, sont à envoyer avant le 30 septembre 2025 aux trois adresses suivantes :
eleonore.marantz@univ-paris1.fr
sophie.descat@paris-lavillette.archi.fr
catherine.maumi@paris-lavillette.archi.fr
[1] Notamment depuis l’exposition « Frank Lloyd Wright 150 : Unpacking the Archive », organisée au MoMA à New York sous la direction de Barry Bergdoll en 2017, au moment du 150ème anniversaire de la naissance de l’architecte. En corrélation ont eu lieu en France deux séries de conférences au Musée d’Orsay et à l’Université de Lorraine à Nancy.
[2] Plusieurs publications reprennent en effet cette dénomination dans leurs titres : Anne-Marie Sol (dir.), Hervé Baley et Dominique Zimbacca architectes, pour une autre modernité, Lyon, Lieux-dits, 2018 ; Jocelyn Lermé et Didier Sabarros, Edmond Lay, une autre modernité 1930-2019, Toulouse, Collection Archives d’architectes en Occitanie, 2021.
[3] Patrice Goulet et Gilles Ehrmann, « France inconnue 1 », L’Architecture d’aujourd’hui, n°229, octobre 1983, p.2-87 et « France inconnue 2 », L’Architecture d’aujourd’hui, n°230, décembre 1983, p.2-93.
[4] À titre d’exemple, les Bretons Bernard Guillouët (1929-2022), Claude Petton (1934-2003) et Erwan Le Berre (1936-2010) ont été les premiers à être étudiés par Daniel Le Couédic, qui a proposé de les nommer « naturalistes-modernistes » — « Influences et emprunts dans l’architecture identitaire bretonne du XXe siècle », Mémoires de la Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, n°81, 2003, p.295-315. Ils ont depuis fait l’objet d’études monographiques plus approfondies : Baptiste Bridelance, Claude Petton, une conscience bretonne portée par une pensée américaine, thèse de Doctorat en Architecture sous la direction de Richard Klein, Université de Lille, 2023 ; Christophe Guillouët, Daniel Le Couédic, Jean-Louis Violeau, Bernard Guillouët. Une vie d’architecture, Châteaulin, Locus Solus, 2024.
[5] Dont celui des injonctions écologiques et environnementales que l’on tente de résoudre, encore et toujours, en recourant à l’innovation technologique.
[6] Jean-Louis Cohen, « Les lectures de Frank Lloyd Wright, de l’Atlantique à l’Oural », 19 janvier 2017, Musée d’Orsay, en ligne : https://www.youtube.com/watch?v=28HzyunIzHU. Voir aussi du même auteur, « Wright et la France, une découverte tardive », Projets et réalisations de Frank Lloyd Wright, Paris, Herscher, 1986, p.5-14.
[7] Michel Espagne, « La notion de transfert culturel », Revue Sciences/Lettres, [En ligne], 1 | 2013 : https://journals.openedition.org/rsl/219.
[8] Peter Burke, « Le tournant naturel », Qu’est-ce-que l’histoire culturelle ?, Paris, Les Belles Lettres, 2022, p.233-236.
[9] Citons plus particulièrement l’article « In the Cause of Architecture », publié en mars 1908 dans The Architectural Record et l’ouvrage An Organic Architecture. The Architecture of Democracy, publié en 1939, avec lequel il rassemble la pensée qu’il développe depuis les années 1890.
[10] Kathryn Smith, Wright on exhibit. Frank Lloyd Wright’s Architectural Exhibitions, Princeton, Oxford, Princeton University Press, 2017.
[11] À cette occasion, plus de 300 dessins ont été exposés et un catalogue publié, richement illustré : Alberto Izzo et Camillo Gubitosi, Frank Lloyd Wright. Dessins. 1887-1959, Paris, École spéciale d’architecture, 1977.
[12] Caroline Maniaque, « Le voyage américain et la scène wrightienne 1950-1970 », dans Anne-Marie Sol (dir.), op. cit. à la note 2, p.26-35.
[13] Ceux qui ont suivi cet enseignement le mentionnent comme une expérience fondatrice. On peut citer ici les parcours d’Iwona Buczkowska, de François et Philippe-Alain Riou (atelier Art-Trait-Design), de Jean-Pierre Campredon et Annick Lombardet (atelier Cantercel).
[14] Kevin Nute, Frank Lloyd Wright and Japan. The role of traditional Japanese art and architecture in the work of Frank Lloyd Wright, Londres, E & FN Spon, 1993 (rééd. Routledge, 2000).
[15] Daniel Treiber, Frank Lloyd Wright. Cinq approches, Marseille, Parenthèses, 2020.
[16] Voir à ce sujet le n°20, 2024, des Cahiers de la recherche architecturale, urbaine et paysagère, « Penser la technique à l’ère du dérèglement global », sous la direction de Roberta Morelli et Jean Souviron.
[17] « What we learned from Frank Lloyd Wright », House and Home, février 1959, cité par Catherine Maumi, Broadacre City. La nouvelle frontière, Paris, Éditions de La Villette, 2015, p.102-103.