Appel à communication

Appel à communication / La culture visuelle de la gastronomie, XVIe-XXe siècles

Date limite : le 1er juin 2025.

La culture visuelle de la gastronomie, XVIe-XXe siècles
Visual Culture of Gastronomy, 16th- 20th century

Galerie Colbert, 18-19 décembre 2025

Frédérique Desbuissons (université de Reims - HiCSA) & Ryan Whyte (OCAD University, Toronto)

Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne / OCAD University, Toronto) / Bibliothèque des Arts Décoratifs 
 

[English version below]


Comité scientifique
James Benn, McMaster University, Hamilton Valérie Boudier, université de Lille
Gwenhael Cavanna-Kernemp, Les Arts Décoratifs, Paris Julia Csergo, Université du Québec à Montréal
Michael Garval, North Carolina State University Jérémie Koering, Université de Fribourg
Camille Paulhan, École nationale supérieure des Beaux-Arts de Lyon [English version below]

Ce colloque international entend aborder la dimension visuelle de la gastronomie dont l’étude mobilise bien au-delà du strict champ de la recherche historique (Allen Weiss, Déborah L. Krohn, Marcia Reed).
À rebours de la définition logocentrique qui prévaut dans la plupart des travaux à laquelle elle a donné lieu depuis le siècle dernier (Jean-Louis Flandrin, Pascal Ory, Priscilla Ferguson, Jean-Robert Pitte), nous proposons de déplacer la perspective en considérant celle-ci comme une relation qualitative à l’alimentation (Julia Csergo) dont participent les « images » dans leurs dimension sensibles et matérielles. Qu’il s’agisse des perceptions visuelles ou des représentations matérielles relevant des beaux-arts, de l’imprimé, des jeux et jouets, de la culture populaire ou de masse, les images ont joué un rôle actif dans la construction et l’expérience de l’« art de bien-manger » (Brillat- Savarin). La quantité et l'ubiquité de la culture visuelle rendent ces images, patrimoniales ou plus souvent « vulgaires », aussi essentielles à la gastronomie que les seuls beaux-arts, moins accessibles en raison de leur lieu de conservation, de leur conditions de diffusion et de leur modes de signification. Loin de n’être que des élaborations secondaires (illustrations, médiations ou témoignages), les représentations visuelles contribuent d’emblée à ce que signifie « bien-manger ».
« D’abord l’à bord », pour reprendre la formule de Jacques Derrida, elles offrent des exemples et des modèles d’expérience et de désir dont les êtres humains se nourrissent tout autant. Elles manifestent la nature composée de toute gastronomie, dont les discours sont indissociables des autres formes de représentation.
À l’âge classique, la culture de table a commencé à s’émanciper aussi bien des règles de la diététique à laquelle elle était auparavant liée que des restrictions de la morale religieuse stigmatisant les plaisirs sensuels, à laquelle fait encore allusion Louis de Jaucourt dans l’Encyclopédie lorsqu’il évoque la cuisine comme « cette luxure de bonne chere dont on fait tant de cas », reconduisant la dépréciation de la « science de gueule » à laquelle se livrait deux siècles plus tôt Michel de Montaigne.

Parallèlement, l’esthétique des banquets s’est écartée des logiques ostentatoire et symbolique qui dominaient jusqu’à la Renaissance. La cuisine, en particulier, devient alors un enjeu de réflexion et d’échanges intellectuels auxquels participent les frontispices des livres de cuisine, d’office et d’économie domestique, tandis que les images de beaux et bons produits se disséminent dans l’espace urbain sous la forme, entre autres, des enseignes, des étalages ou des cartes de commerce. En France, à la veille de la Révolution, « bien-manger » ne signifie donc plus forcément manger sainement et saintement, en suivant les préceptes de la médecine et de la religion, mais aussi manger de bonnes choses avec des accessoires et dans un environnement appropriés, ainsi qu’en bonne compagnie. Toutes ces dimensions de la culture de table sont celles qu’énumère, non sans ironie, Joseph de Berchoux dans La gastronomie, ou l’homme des champs à table (1801), dont le titre s’est finalement imposé pour désigner cet « art de faire bonne chère » dont le Dictionnaire de l’Académie française enregistre l’usage en 1835.

À l’instar des planches variées qui ont orné les éditions successives du poème de Berchoux, les images de la gastronomie ont été consubstantielles à la diffusion des connaissances, des pratiques et des imaginaires hors des limites sociales et géographiques plus étroites qui caractérisaient la culture de table de l’Ancien Régime. L’essor de l’imprimé et la multiplication des images à l’époque contemporaine l’ont émancipé des hôtels particuliers et des restaurants accessibles aux seuls privilégiés capables de s’offrir les services de grands chefs, de consommer des produits choisis et de fréquenter de bonnes tables. Parallèlement aux établissements de bouche – épiceries fines, traiteurs, restaurants… – emblématiques de la spectacularisation de l’alimentation propre aux centres urbains à partir du XIXe siècle, les représentations diffusées par l’édition, la presse et l’affiche ont donné à voir des préparations, des ustensiles, des scénographies, des usages et des formes de convivialité jusqu’alors invisibles à la majorité des contemporains.

Si leur conjonction a contribué à l’installation de la gastronomie dans un nouveau régime de visibilité, elle a aussi facilité la sédimentation des normes, leur uniformisation par-delà les variations locales et particulières, mais aussi leur confrontation dans un contexte élargi. C’est pourquoi ce colloque s’attachera aussi bien à ses développements dans l’Europe des temps modernes et depuis son épanouissement dans la France post-révolutionnaire qu’aux cultures gastronomiques d’autres cultures et aires géographiques, qu’elles soient envisagées pour elles-mêmes ou dans le contexte des empires coloniaux et de la mondialisation des circulations des produits, des normes et des pratiques alimentaires. Comment, en particulier, décrire et penser selon d’autres traditions et représentations le rapport qualitatif à l’alimentation en usant des images et des mots émiques plutôt que ceux, étiques, de la gastronomie européenne ? Selon quelles modalités visuelles des communautés dominées ont-elles pu faire un vecteur de résistance et d’émancipation, comme dans le cas exemplaire de la Soul Food ?

Nous appelons des propositions, sans restriction de discipline, qui envisageront la dimension visuelle de la gastronomie sous ses formes aussi bien internationales que vernaculaires, savantes que populaires. Parmi les thématiques possibles, mais non exclusives :

Physiologie, psychologie
Synesthésies alimentaires
Consommations éphémères et mémoire visuelle

Présentations, représentations, conservation
Figurer la qualité gustative
Scénographies de la table
Expositions : étalages, marchés, vitrines, musées
Musées et patrimonialisation

Médias et technologies 
Culture de l’imprimé et gastronomie : almanachs, journaux, magazines, affiches, pamphlets… 
Design, emballages, étiquettes
Technologies alimentaires, technologies de l'image

Géographies, espaces, sites 
Périmètres et géographies de l’image gastronomique
Sites de production et de consommation : cuisine, office, salle à manger, restaurant
Empires et gastronomie

Valeurs, mœurs, idéologie 
Figures et personnifications : mangeuses et mangeurs, chef·fe·s, critiques, gastronomes, domestiques et commerçant·e·s
Le « bon » et le « bien » : morales alimentaires
Valeurs gustatives : économie politique et économies de la gastronomie
Satire, burlesque et comédie : rire de la gastronomie

Les propositions, en français ou en anglais, sont attendues avant le 1er juin 2025 à frederique.desbuissons@univ-reims.fr et rwhyte@ocadu.ca

Elles comporteront un résumé d’un maximum de 700 mots et un bref curriculum vitæ.