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Séminaire

Séminaire de recherche / Architecture et milieux naturels

HiCSA / Axe "Art et écosophie"

Organisé par Jean-Philippe Garric et Eléonore Marantz

Octobre – Décembre 2024 : Galerie Colbert, 6, rue des Petits champs (Salle Fabri de Peiresc)

Pour cette première année, le séminaire « Architecture et milieux naturels » propose une série de 5 séances thématiques qui s’intéressent à la façon dont l’architecture – de l’habitat au territoire – utilise, réordonne, réinvente, s’approprie la nature. À la lumière de l’urgence climatique et environnementale et dans le contexte d’une riche actualité de la recherche architecturale et urbaine et du débat public sur ces questions, il s’agit d’interroger à nouveau frais et sur la longue durée de la période contemporaine l’ancienne l’injonction primitive faite à l’architecture, de protéger les sociétés humaines contre l’hostilité du climat et les menaces du monde sauvage. 
Du point de vue de l’histoire de l’architecture, on s’attachera ainsi à découvrir et à interroger les racines anciennes et la récurrence de préoccupations, d’aspirations et de pratiques propres à renouveler la façon de comprendre une discipline parfois abusivement réduite à des enjeux esthétiques, voire à des jeux volumétriques.

Programme

15 octobre 2024, 18h-20h

Ailleurs. Habiter un climat hostile

Aux origines même de l’architecture, selon la théorie classique, l’impératif de garantir les sociétés naissantes contre les éléments et les aléas du climat acquiert un caractère d’urgence, dans les milieux hostiles que la civilisation tente ou du moins rêve d’investir.
Ronan BOUTTIER, Paysage et hygiène de la ville coloniale : l’ingénieur et le botaniste
Marie GAIMARD, Hydraulique et architecture : le « désert paradoxal » d’André Ravéreau
Marie BEAUVALET, Les projets de colonies spatiales dans les années 1970 : une nouvelle vision du cadre naturel au-delà des frontières terrestres

  • Discutant Jean-Philippe Garric, HiCSA


5 novembre 2024, 18h-20h

Des lieux pour vivre la nature à Paris

L’aspiration urbaine à combler la perte de la nature ou son éloignement ne date pas d’aujourd’hui. Autour de 1800, époque où l’on sortait pourtant facilement de la capitale, permettre aux Parisiens d’habiter la nature en ville est l’un des enjeux de l’architecture.
Magaly VESPERINI, Les wauxhalls et la nature, du « pleasure garden » à l’illusion végétale
Charlotte DUVETTE, Technologie et usages des espaces privés végétalisés dans la ville à l’aube du XIXe siècle
Constance MARQ, En quête de nature : les promenades des architectes anglais dans les jardins et les cimetières de Paris et ses environs (1802-1834)

  • Discutante Alexia Lebeurre, MCF université de Bordeaux Montaigne

19 novembre 2024, 18h-20h

Planter pour faire la ville

Quel rôle revient à la végétation dans la production et de la transformation urbaine contemporaine ? Quelles institutions et quels acteurs assument cette dimension de la fabrique de la ville ? Sur quelles représentations culturelles repose-t-elle et comment compose-t-elle avec le bâti ?
Chiara SANTINI, Construire la ville par le paysage. Adolphe Alphand et les espaces verdoyants de Paris (1854-1891)
Florence BOUSQUET, Morphologies architecturales et espaces naturels : dialectique évolutive dans les ZAC parisiennes de 1975 à aujourd'hui
Sonia KERAVEL Fabriquer la ville par les parcs : les projets de parcs départementaux dans les années 1970-1980 en Ile-de-France

  • Discutant Cédric Fériel, MCF en Histoire contemporaine, université Rennes 2

3 décembre 2024, 18h-20h

S’approprier | modeler | transformer la nature

Si la ville se conçoit sans ambiguïté comme un artefact, les représentations du monde rural entretiennent volontiers l’illusion du naturel. Face à l’identité architecturale de la ville, qu’en est-il de l’architecture de territoires modelé et remodelés par les interventions humaines ?
Yvon PLOUZENNEC, Le dessèchement du Marquenterre à la fin de l’Ancien Régime ou l’utilité publique en question 
Diane BOUTEILLER, Paysages de la chasse au XIXe siècle

  • Discutant Antonio Brucculeri, Professeur ENSA Paris-La Villette

17 décembre 2024, 18h-20h 

Bâtir pour changer l’Homme avec la Nature

Au-delà du seul bien-être de la villégiature, les constructions idéologiques qui prêtent à la nature des vertus régénératrices ou éducatives proposent d’en tirer des leçons et l’intégrer à l’architecture, pour réformer les femmes les hommes et la société.
Jean-Philippe GARRIC, La Nature pour maître, d’Etienne Louis Boullée à François Cointeraux
Lucie PROHIN, Ce que la nature doit faire à l’ouvrier : rôles du jardin dans les discours normatifs autour de l’habitat des classes ouvrières (XIXe siècle – tournant du XXe siècle)
Eléonore MARANTZ, Nature et architecture pour une Éducation nouvelle. Les colonies de vacances comme laboratoires d’une nouvelle manière d’habiter la nature (France, 1950-1970’s)

  • Discutant Guy Lambert, MCF ENSA Paris-Belleville

Séminaire « Architecture et milieux naturels » Université Paris Panthéon-Sorbonne / Hicsa


Programme détaillé

Ailleurs. Habiter un climat hostile
Aux origines même de l’architecture, selon la théorie classique, l’impératif de garantir les sociétés naissantes contre les éléments et les aléas du climat acquiert un caractère d’urgence, dans les milieux hostiles que la civilisation tente ou du moins rêve d’investir
Ronan BOUTTIER, Paysage et hygiène de la ville coloniale : l’ingénieur et le botaniste
Au début du XIXe siècle, l’aménagement de nouvelles villes coloniales conduit l’administration de la Marine à s’intéresser à l’hygiène de l’espace public quand en métropole s’établissent les premières normes en matière d’hygiène de la ville. Dans les colonies et à Pondichéry en particulier, les ingénieurs des Ponts et Chaussées partagent leur domaine de compétence et leur savoir avec les botanistes missionnés par Paris.
Comme beaucoup de villes coloniales européennes implantées en zone tropicale, Pondichéry se signalait par l’abondance et la diversité de la végétation qui bordait ses rues. Dès l’Ancien Régime, il est fréquent de trouver le long des artères des arbres d’alignement plus ou moins régulièrement plantés. Cet usage spécifique aux villes coloniales qui ne se répand en métropole que dans la seconde moitié du XIXe siècle, implique de la part des autorités de connaître avec précision les ressources naturelles disponibles dans la péninsule. 
A cette fin, sous la Restauration, les ministères de la Marine et de l’Intérieur subventionnent plusieurs expéditions botaniques. Le voyage en Inde du naturaliste du roi Jean-Baptiste Leschenault de La Tour, de 1816 à 1821, est d’une importance majeure. Il donne lieu à une ambitieuse opération de reconnaissance, de collecte et d’acclimatation de la végétation locale pour le service de la ville coloniale poursuivie par son successeur Charles Bélanger. 
Nommé directeur du jardin botanique de Pondichéry, Bélanger soutient son aménagement conjointement avec l’ingénieur Etienne Rabourbin. Conservatoire des collections botaniques collectées en Inde, cette nouvelle institution de la ville coloniale occupe une place de premier ordre dans le réseau français des jardins botaniques coloniaux. L’aménagement des espaces et la construction des bâtiments mettent en lumière les responsabilités qui s’affrontent dans la gestion des végétaux de la ville coloniale.
Marie GAIMARD, Hydraulique et architecture : le « désert paradoxal » d’André Ravéreau
Dans son ouvrage Le M’Zab, une leçon d’architecture (Paris, Sindbad, 1981), André Ravéreau consacre une des entrées de son abécédaire à la gestion de l’eau en milieu désertique qu’il place en amont de toute conception spatiale et formelle : « tout le caractère architectural du M’Zab est donc conditionné par la nécessité d’un effort hydraulique considérable et prioritaire ». Il retient aussi de sa longue et profonde immersion saharienne (1965-1975) une économie de moyens extrême pour prétendre à un rapport respectueux de l’homme envers la nature et parvenir à l’idée selon laquelle le désert est hospitalier si l’on mobilise ses ressources de façon raisonnée. On s’autorisera dans le cadre de ce séminaire à envisager quelques analogies. Ainsi André Ravéreau s’appuie sur l’étude d’une architecture traditionnelle pour avancer des préconisations qui s’affilient aux pensées écologistes et décroissantes telles que les positions défendues par le philosophe Ivan Illitch. Le caractère “survivaliste” du raisonnement de Ravéreau est sans doute aussi à comparer avec des initiatives menées par ses contemporains dans d’autres ères désertiques, qu’il s’agisse de recherches fondamentales ou d’expérimentations diverses sur les infrastructures hydrauliques. 
Marie BEAUVALET, Les projets de colonies spatiales dans les années 1970 : une nouvelle vision du cadre naturel au-delà des frontières terrestres
Comment recréer la Terre dans des colonies spatiales ? Dans les années 1970, des projets émergent, témoignant d’une volonté de créer une version améliorée de la Terre dans un contexte de crainte de sa destruction. À la fois familier et hautement technologique, ce nouveau cadre au bâti se voulant « authentique » fait une large place à la nature sous toutes ses formes : c’est une archive du meilleur de la vie sur Terre : un petit monde en microcosme.
 

Des lieux pour vivre la nature à Paris 
L’aspiration urbaine à combler la perte de la nature ou son éloignement ne date pas d’aujourd’hui. Autour de 1800, époque où l’on sortait pourtant facilement de la capitale, permettre aux Parisiens d’habiter la nature en ville est l’un des enjeux de l’architecture.
Magaly VESPERINI, Les wauxhalls et la nature, du « pleasure garden » à l’illusion végétale
Il s’agit de s’interroger sur la place de la nature dans le programme des wauxhalls. 
Comment le caractère « champêtre », puisque à l’origine, on y donne des « bals champêtres », s’exprime dans ces établissements de plus en plus urbains, transferts des « pleasure gardens ». Le wauxhall de Louis à Boulogne (1760-1765) présente des charmilles, des bosquets autour d’une salle découverte tandis qu’en 1771 le Colisée, est implanté aux abordes des Champs-Élysées, au milieu d’un jardin constitué de nombreuses promenades ornées de treillage]. Le Cirque royal, boulevard du midi, contient un théâtre d’eau, sorte de spectacle hydraulique imité de la nature. Le traitement du jardin dans ces premières réalisations est primordial : il est constitutif du wauxhall qui est alors un lieu de fête de plein-air où le végétal forme l’écrin de toutes les activités, à l’image d’un théâtre de verdure.
En parallèle, on note une évolution « figurée » de la nature dans certains édifices, notamment au sein des wauxhalls d’hiver qui propose, sans jardin, de s’immerger dans un univers bucolique tout au long de l’année, comme au wauxhall de la foire St Germain ou au Panthéon rue St Thomas du Louvre. La nature factice est présente dans d’autres wauxhalls comme la Redoute chinoise, à la foire St Laurent, qui incarne la mode des jardins anglo-chinois et accueille un café dans une grotte artificielle.
De plus, on observe une diminution de la place de la nature dans les wauxhalls au profit de l’exploitation du terrain de plein-air pour des spectacles. C’est l’ère du jardin-spectacle, amorcée par les artificiers Torré et Ruggieri. 
Enfin, dans le cas du Cirque du Palais royal, la promenade publique est assimilée au jardin originel attenant au wauxhall. Le pourtour de cet édifice ressemble davantage à un jardin-spectacle qu’à un espace de verdure depuis que le jeune duc de Chartres l’a transformé au détriment de l’ancienne plantation de marronniers.
Charlotte DUVETTE, Technologie et usages des espaces privés végétalisés dans la ville à l’aube du XIXe siècle
Constance MARQ, En quête de nature : les promenades des architectes anglais dans les jardins et les cimetières de Paris et ses environs (1802-1834)
Au moment de la Paix d’Amiens et plus encore après Waterloo, Paris constitue une des destinations principales des architectes anglais. Désireux de (re)découvrir la capitale du pays voisin, ces derniers arpentent la ville à la recherche d’édifices méritant d’intégrer leur répertoire architectural. Toutefois, l’examen des bâtiments parisiens ne constitue pas leur unique intérêt. Au cours de leurs séjours, les architectes venus d’Albion accordent également une importance notable aux jardins et aux cimetières. Les jardins des Tuileries, du Luxembourg, du Palais-Royal ou encore le jardin des Plantes sont autant d’espaces disponibles pour le voyageur anglais en quête de verdure. 
Au-delà des promenades et des moments de sociabilité qu’ils permettent, ces lieux offrent la possibilité d’appréhender la manière dont la nature se développe à Paris et dans ses environs. Les architectes observent notamment les cimetières récemment aménagés et opèrent des comparaisons avec Londres, alors en retard par rapport à son homologue française. Devenu incontournable, le cimetière du Père Lachaise suscite l’admiration générale en procurant des sensations pittoresques uniques que les architectes décrivent volontiers dans leurs carnets. 
Si le plus grand cimetière de Paris fait l’unanimité auprès des Anglais, les jardins donnent lieu à des commentaires davantage contrastés. Lors de leurs visites au château de Versailles, par exemple, les architectes se confrontent à la tradition du jardin « à la française » si différente, selon eux, de l’approche anglaise. Empreints des théories de Uvedale Price et de Richard Payne Knight sur le pittoresque, les architectes émettent régulièrement des réserves quant au paysage qui s’offre à eux. Quel que soit leur caractère, ces multiples observations témoignent, toutefois, de la prise en compte toujours grandissante de la nature dans la réflexion sur la ville et de son importance dans les rapports d’émulation entretenus par les capitales européennes.

Planter pour faire la ville 
Quel rôle revient à la végétation dans la production et de la transformation urbaine contemporaine ? Quelles institutions et quels acteurs assument cette dimension de la fabrique de la ville ? Sur quelles représentations culturelles repose-t-elle et comment compose-t-elle avec le bâti ?
Chiara SANTINI, Construire la ville par le paysage. Adolphe Alphand et les espaces verdoyants de Paris (1854-1891)
Florence BOUSQUET, Morphologies architecturales et espaces naturels : dialectique évolutive dans les ZAC parisiennes de 1975 à aujourd'hui
Des premières préoccupations environnementales dans les années 1970 à aujourd'hui, les ZAC parisiennes témoignent d'une articulation de plus en plus entremêlée des espaces naturels et bâtis. Comment cette intégration progressive d'espaces naturels dans les ZAC parisiennes a-t-elle eu une influence sur les morphologies architecturales ? L'étude des plans de ZAC et des morphologies architecturales croisera un jeu d'acteur en charge de la conception des ZAC parisiennes en évolution.
Sonia KERAVEL, Fabriquer la ville par les parcs : les projets de parcs départementaux dans les années 1970-80 en Île-de-France.
La réorganisation administrative de la région parisienne dans les années 60 engendre des bouleversements politiques et l'apparition de nouveaux projets de parcs dans les années 70-80. Les trois départements de la petite couronne, les Hauts-de-Seine, la Seine-Saint-Denis et le Val-de-Marne, font alors face à une forte pression urbaine, et chacun, à sa façon, va faire en sorte de préserver des espaces libres grâce à la création de grands parcs, conçus comme des équipements à l'échelle du département. Ces projets, qui vont véritablement fabriquer les paysages d’Île-de-France, sont d’immenses laboratoires pour une jeune génération de paysagistes qui y teste de nouveaux principes et qui redécouvre la pensée de la fabrique urbaine. A partir de quelques études de cas, nous proposons de relire l’histoire de ces projets pionniers. Ces parcs sont pour les paysagistes l’occasion d’affirmer une rupture avec le modèle haussmannien. Souvent inspirés des expériences anglo-saxonnes (Angleterre, Allemagne, Pays-Bas), ils proposent une nouvelle conception du rôle des parcs et jardins dans la société. Ils sont avant tout conçus comme des lieux de vie populaire, des espaces de loisirs, de récréation et de dépaysement. Ces projets manifestes s’inscrivent en outre dans la planification à grande échelle en tissant des relations fortes avec le territoire et la ville alentours. 

S’approprier | modeler | transformer la nature 
Si la ville se conçoit sans ambiguïté comme un artefact, les représentations du du monde rural entretiennent volontiers l’illusion du naturel. Face à l’identité architecturale de la ville, qu’en est-il de l’architecture de territoires modelé et remodelés par les interventions humaines ?
Yvon PLOUZENNEC, Le dessèchement du Marquenterre à la fin de l’Ancien Régime ou l’utilité publique en question 
« Depuis longtemps, les maire, échevins, et principaux habitans [du Marquenterre] sollicitent l’autorité et le secours du gouvernement et lui représentent la nécessité urgente de construire des ouvrages, soit pour arrêter les incursions de la mer, qui menace de submerger les parties les plus basses du païs, soit pour procurer un écoulement aux eaux pluviales […], soit enfin pour dissiper les vapeurs marécageuses qui corrompent l’air de ce canton ».  
À travers ces mots, se dessine l’image d’un paysage profondément inhospitalier, dont la population serait menacée par de multiples périls liés à la situation géographique précaire de leurs terres situées entre deux estuaires (ceux de la Somme et de l’Authie). Se dessine également l’idée de l’utilité publique des ouvrages réclamés au pouvoir central par les habitants de ce pays afin de garantir leur subsistance.  
Pourtant, lorsque des travaux hydrauliques colossaux sont envisagés par des affairistes sous la houlette du comte d’Artois (prince apanagiste du comté de Ponthieu dont dépend le Marquenterre) à la fin des années 1770, ceux-ci sont presqu’aussitôt dénoncés par les communautés locales, qui les jugent contraires à leurs intérêts propres. Cette controverse fait apparaître les limites des politiques d’aménagements exogènes à la fin de l’Ancien Régime et interroge le principe d’utilité publique – ou d’intérêt général – dont se réclament les promoteurs de ces projets.  
Cette intervention s’inscrit dans le projet de recherche « Le littoral et les aménagements de l’eau (1750-1850) : usages, conflits et échecs » abrité au sein du laboratoire IPRAUS (ENSA de Paris-Belleville - UMR AUSser 3329) : https://umrausser.cnrs.fr/recherche/le-littoral-et-lesamenagements-de-l…
Diane BOUTEILLER, Paysages de la chasse dans la France du XIXe siècle
L’essor de la pratique de la vénerie au XIXe siècle va contribuer à la richesse architecturale et paysagère de cette époque. La chasse à courre, et le lien à la nature qu’elle procure, est alors source d’équilibre pour ces veneurs et villégiateurs privilégiés qui sont à la recherche de lieux éloignés des activités industrielles. L’identité culturelle du veneur se forge à travers une série de pratiques et de représentations sociales. Son statut et le prestige de son équipage vont se traduire dans le soin porté à l’architecture et au traitement paysager de son domaine de chasse. En intégrant la complexité de la pratique cynégétique et sa signification sociale, les aménageurs de l’époque, architectes, paysagistes, pépiniéristes, vont intervenir pour combiner agrément et fonctionnalité. Dans cet environnement largement artificialisé qui doit favoriser le sentiment d’évasion, la nature reste cependant la source d’inspiration majeure. Deux grands partis d’aménagement vont alors prédominer : la prise en compte du paysage existant dans la composition du domaine ou la création d’un paysage ex-nihilo. Afin de marquer l’esprit des invités tout en suggérant la beauté d’un pays rural traditionnel, des architectures fastueuses et pittoresques, des jardins et des parcs sont dessinés et disposés pour composer avec l’écrin forestier et le grand paysage. Plus qu’habiter la nature, il s’agit de la pratiquer et de la façonner pour les besoins de cette activité singulière et mondaine.

Bâtir pour changer l’Homme avec la Nature 
Au-delà du seul bien-être de la villégiature, les constructions idéologiques qui prêtent à la nature des vertus régénératrices ou éducatives proposent d’en tirer des leçons et l’intégrer à l’architecture, pour réformer les femmes les hommes et la société.
Jean-Philippe GARRIC, La Nature pour maître, d’Etienne Louis Boullée à François Cointeraux
Lucie PROHIN, Ce que la nature doit faire à l’ouvrier : rôles du jardin dans les discours normatifs autour de l’habitat des classes ouvrières (XIXe siècle – tournant du XXe siècle)
Au XIXe siècle, l’habitat des classes ouvrières fait l’objet d’une attention accrue de la part des classes dominantes, dont émanent un nombre considérable de discours à visée normative sur ce sujet. En leur sein sont régulièrement évoqués plusieurs rôles dévolus au jardin. Si cet espace est alors souvent considéré comme un corollaire de la maison individuelle, et même de la propriété foncière, il commence à gagner une relative indépendance vis-à-vis de celles-ci à travers le développement du mouvement des jardins dits « familiaux » ou « ouvriers » (appelés allotments en anglais) – en particulier, dans le cas de la France, grâce aux actions de Félicie Hervieu puis de l’abbé Lemire au tournant du XXe siècle. Moyen de subsistance, où peut se pratiquer la culture vivrière, le jardin est aussi présenté dans de nombreux discours comme un instrument de moralisation. Il est en effet censé éloigner l’ouvrier du cabaret et lui offrir l’occasion d’occuper son temps libre d’une façon jugée saine. Ce recentrement sur la cellule familiale doit l’amener à développer le sentiment si valorisé qu’est « l’amour du foyer » et lui permettre de donner un bon exemple à sa progéniture, notamment à travers la transmission de compétences de jardinage – ce qui fait écho à de récents travaux sur les masculinités ouvrières au sein de l’espace domestique. Le jardin constitue également un outil d’émulation entre voisins, en particulier grâce à la tenue de concours stimulant « l’amour-propre » des ouvriers. Par l’étude de ces discours – et en dialogue avec une riche historiographie sur ce sujet – cette communication se propose ainsi de réfléchir à l’instrumentalisation idéologique de la nature, en interrogeant ce que cette dernière est supposée faire aux classes ouvrières, et peut-être plus spécifiquement aux hommes.
Eléonore MARANTZ, Nature et architecture pour une Éducation nouvelle. Les colonies de vacances comme laboratoires d’une nouvelle manière d’habiter la nature (France, 1950-1970’s)
L’Éducation nouvelle, mouvement de réforme pédagogique international né à la fin du XIXe siècle défendant le principe d’une participation active des individus à leur propre formation, voit encore, après la Seconde Guerre mondiale, ses préceptes davantage appliqués dans l’univers de l’éducation populaire et du tourisme social que dans le système scolaire. À l’aube des années 1950, alors que la reconstruction de la France bat son plein, des organismes tels que la Fédération des auberges de jeunesse (FUAJ), la Jeunesse au plein air (JPA), le Centre d’entraînement aux méthodes d’éducation active (CEMEA) ou les Francs et franches camarades (FFC) deviennent les maîtres d’ouvrage d’un ambitieux chantier de maillage du territoire en structures d’hébergement touristique. L’objectif poursuivi est double : permettre à un maximum d’enfants d’avoir accès aux vacances ; faire fructifier ce temps passé hors de la sphère familiale, au contact d’autres jeunes gens et d’éducateurs aguerris, pour y développer une pédagogie favorisant le développement individuel et les interactions collectives. Dans cette nouvelle génération de colonies de vacances, les ressources éducatives sont centrées sur les activités de la vie quotidienne, la pratique assidue des jeux et les rapports avec la nature. Dès lors, au moment de concevoir ces camps de vacances, la question du rapport entre architecture et milieu naturel se pose avec une certaine acuité qu’il s’agisse, comme nous l’analyserons dans le cadre de notre contribution à ce séminaire, du site d’implantation que des liens que les architectures entretiennent avec leur environnement.
 

Biographies

Diane Bouteiller est architecte du patrimoine et doctorante à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Après avoir travaillé en agence d’architecture où elle a contribué à la restauration de monuments historiques, elle a entrepris une thèse de doctorat dont le sujet porte sur « Les pratiques cynégétiques dans la fabrique de l’architecture et du paysage en France au XIXe siècle ». Cette recherche CIFRE, dirigée par Jean-Philippe Garric, est soutenue par le Fonds Vènerie et par la Fondation François Sommer.

Ronan Bouttier est maître de conférences en histoire de l’architecture moderne à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Mes recherches portent notamment sur l’architecture française extra-européenne du XVIe au début du XIXe siècle. Mes travaux se concentrent autour des espaces méditerranéen et océanique indien et prêtent une attention particulière à la matérialité de cette architecture, aux acteurs et aux processus de circulation des modèles et des idées.

Cédric Fériel est maître de conférences en histoire contemporaine à l’université Rennes 2. Il travaille sur les usages politiques et sociaux de l’urbanité au second xxe siècle dans l’espace transatlantique. Il est corédacteur en chef de la revue Métropoliques (France) et membre du bureau de la Société française d’histoire urbaine. Son ouvrage La ville piétonne. Une autre histoire urbaine du xxe siècle ? est paru aux éditions de la Sorbonne en 2022.

Marie Gaimard est maîtresse de conférences en Histoire et cultures architecturales à l’École nationale supérieure d’architecture de Normandie, membre de ATE (architecture, territoire, environnement, UR 7464). Elle se spécialise dans l’histoire des transferts culturels et des processus créatifs à l’ère contemporaine par l’interdisciplinarité (représentations architecturales et urbaines, croisements architecture-cinéma) et la monographie (les architectes Jean Walter, André Ravéreau, l’entrepreneur Raymond Camus, le cinéaste Nico Papatakis).

Jean-Philippe Garric est professeur d’histoire de l’architecture à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et chercheur à l’HiCSA (EA 4100). Spécialiste de la fin du XVIIIe et du XIXe siècle, en particulier de la culture des architectes, de l’enseignement, des représentations graphiques et des échanges entre la France et l’Italie, il a publié et dirigé de nombreux ouvrages, parmi lesquels Vers une Agritecture. Architecture des constructions agricoles 1789-1950 (2014)

Eléonore Marantz est maître de conférences en histoire de l’architecture contemporaine à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, chercheure à l’HiCSA (EA 4100). Spécialiste de l’architecture du XXe siècle, ses travaux actuels proposent de (re)lire l’architecture française des années pré et post soixante-huitardes (Mai 68. L'Architecture aussi !, 2018 ; Architecture 68, 2020). Elle a abordé la question spécifique du renouvellement des architectures du tourisme social au cours des décennies 1950-1970 principalement au travers de la contribution décisive de Roland Schweitzer à ce débat (« An Architecture for New Education: Roland Schweitzer’s Summer Camps (1958–74) », In_Bo, 2024).

Constance Marq est doctorante en Histoire de l’architecture à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne où elle prépare, sous la direction de Jean-Philippe Garric, une thèse sur le voyage des architectes anglais en France entre 1802 et 1834. Soutenues par le Paul Mellon Centre for British Art et l’INHA, ses recherches portent sur la réception de l’architecture française, de l’antique au contemporain, par les architectes venus d’Albion. Elles visent, plus largement, à réinterroger les circulations et les rapports d’émulation franco-anglais au XIXe siècle.

Magaly Piquart-Vesperini est doctorante à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne sous la direction de Jean-Philippe Garric. Sa thèse est consacrée aux wauxhalls parisiens (1766-1799), salles de bals semi-permanentes édifiées avec soin et occupant une place de choix l’embellissement de la ville. Elle est également chargée de cours à l’Université de Poitiers. Elle a coorganisé deux journées d’études : « La Régence et la fête » en 2020, et « Transferts culturels et tensions autour du modèle exogène » en 2024. Elle a également présenté ses recherches lors de plusieurs manifestations scientifiques, dont un colloque international à l’Université de Bordeaux Montaigne en 2022. Elle est également membre du CA du GHAMU.

Yvon Mullier-Plouzennec, docteur de Sorbonne Université, est membre du laboratoire IPRAUS/AUSser (UMR 3329). Il travaille actuellement sur les aménagements du littoral à l’ère pré/proto industrielle, en portant une attention particulière à la question des politiques publiques, de la circulation des savoirs et des acteurs impliqués dans ces processus.

Lucie Prohin est doctorante en histoire de l’architecture à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne où elle prépare, sous la direction du professeur Jean-Philippe Garric, une thèse intitulée « Exposer l'habitat ouvrier en Europe : le développement d'une culture architecturale transnationale (1851-1913) ». Elle a travaillé pendant quatre ans en tant que chargée d’études et de recherche à l’INHA. Ses travaux ont également bénéficié du soutien du Paul Mellon Centre, de l’École française de Rome, de la Fondation Napoléon, et du CIERA. En parallèle de son doctorat, elle enseigne l’histoire de l’architecture et de l’urbanisme à l’université Paris 1 et à l’ENSA Paris – La Villette.